Description
Aux origines de l’Association Internationale de Psychanalyse.
1910 est une année cruciale dans l’histoire et la diffusion de la psychanalyse. Lors du voyage aux États-Unis (août-septembre 1909), Freud, Jung, Rank et Ferenczi viennent d’inoculer la discipline nouvelle en Amérique, et Freud publie l’année suivante, sous le titre de Cinq conférences sur la psychanalyse, le texte des leçons américaines. Les dissensions (Adler, Bleuler, Rank) s’accentuent. Freud tient ses troupes, et tolère les incursions dans la mythologie, le surnaturel et la transmission de pensées de ses deux principaux disciples, Jung et Ferenczi, veillant à ce qu’aucun des deux ne se détache de la « question sexuelle ». Surtout, le deuxième congrès international de psychanalyse, tenu à Nuremberg fin mars, sanctionne la création de l’Association psychanalytique internationale, structure souhaitée par Ferenczi et dont Jung prend la présidence. Les deux disciples bien-aimés sont ainsi réunis – en dépit de leurs rivalités – au cœur du dispositif institutionnel, qu’il faut maintenant protéger d’éventuelles dérives.
C’est justement à la question du recrutement, de l’autorité et de la gouvernance au sein de l’Association psychanalytique internationale que fait référence le début de la lettre.
Jung vient de proposer à Freud de réserver l’admission à l’Association aux titulaires de diplômes universitaires, règle en vigueur à Zurich : « Nous avons par ailleurs à Zurich la règle que seuls sont admis les membres ayant un grade académique. Les étudiants sont admis tout au plus comme hôtes, ou temporairement. Je dis cela parce que je crains que Ferenczi ne se mette à fonder avec le régisseur du théâtre » (S. Freud & C. G. Jung, Correspondance, II, 104, lettre du 29 octobre 1910). La réponse de Freud, dont Jung se fait l’écho dans notre lettre, est catégorique : Jung peut faire ce qu’il veut à Zurich, mais pas ailleurs, et surtout pas au sein de l’Association. «À Vienne cela n’irait déjà pas pour la raison qu’il nous faudrait exclure celui qui est depuis des longues années notre secrétaire (Rank). Ce serait également dommage pour plusieurs nouveaux étudiants pleins de pro- messes. Enfin, le sens de cette mesure « régressive » ne doit pas être tellement approuvé à l’époque de la University extension… Nous n’avons à Vienne que la condition tacite de ne pas admettre les patients “actifs”. La limitation que vous projetez ne pourrait jamais se réaliser à Vienne et elle m’est personnellement tout à fait antipathique » (op. cit., lettre du 31 octobre 1910).
On remarquera que Jung évite de confier à Ferenczi, son principal rival dans l’affection de Freud, qu’il s’est fait sèchement recadrer à propos du recrutement des universitaires, et qu’il reprend sans s’attarder le verdict freudien en son nom propre : « Je me rends compte que c’est impossible ».
La psychanalyse n’était d’ailleurs pas bien accueillie dans les milieux académiques, et c’est justement aux attaques des universitaires que Jung fait allusion dans le deuxième paragraphe. Si les esprits s’échauffent et qu’on le traite de fou, s’il a du mal à assurer ses cours, c’est, confie-t-il, à la suite d’une conférence d’un psychiatre allemand violemment hostile à Freud, Alfred Hoche (1865-1943), pour qui la psychanalyse est une «secte» dangereuse formée de praticiens délirants (tristement célèbre, Hoche se distinguera par ses théories favorables à l’euthanasie des enfants handicapés et à la suppression des « vies qui ne valent pas la peine d’être vécues »).
Document bien conservé.
Références : S.Freud & C.G.Jung, Correspondance, II, Paris, Gallimard,1975.– M. Schneider, Lacan, les années fauve, Paris, Presses universitaires de France, 2015. – Pour l’année 1910 : L. Joseph & C. Masson, Résumé des œuvres complètes de Freud, II, Paris, Hermann, 2007, pp. 133-186.