Description
Précieux document sur la naissance de l’Association Internationale de Psychanalyse.
Lieber Freund,
Ich habe über die Frage der « Graduierten » unterdessen auch mit Freud korrenspondiert.
Ich sehe ein, dass es nicht geht. Es lässt sich nicht auf die Universität beschränken. Bei uns fängt das Publikum allmählich an, sich zu erhitzen. Ich habe diesen Winter zum erstem Mal nicht einmal mein Colleg** zustandegebracht, da ich als Verrückter verschrieen bin. Das sind Konsequenzen con Hoche’s Vortrag. Meine* Praxis geht vorzüglich, auch mein Assistent hat zu tun.
Es wird mich freuen wenn Sie mir einen Beitrag zum Jahrbuch spenden. Ich werde Ihnen 15 Seiten aussparen. Wollen Sie auf Januar liefern oder erst auf Juli? Bitte um kurzen Bericht.
Mir herzlichen Grüßen
Ihr Jung.
[Cher ami,
j’ai entre-temps aussi correspondu avec Freud sur la question des ”gradés”.
Je me rends compte que c’est impossible. Cela ne peut pas se limiter à l’université. Chez nous, le public commence à s’échauffer. Cet hiver, pour la première fois, je n’ai même pas fait mon cours, parce qu’on me traite de fou. Ce sont les conséquences de la conférence de Hoche. Mon cabinet se porte très bien, même mon assistante est occupée.
Je serais heureux d’avoir votre contribution à l’annuaire. Je vous réserverai 15 pages. Voulez-vous la livrer en janvier ou en juillet ? Veuillez m’envoyer un bref rapport.
Avec mes cordiales salutations,
Votre Jung.]
1910 est une année cruciale dans l’histoire et la diffusion de la psychanalyse. Lors du voyage aux États-Unis (août-septembre 1909), Freud, Jung, Rank et Ferenczi viennent d’inoculer la discipline nouvelle en Amérique, et Freud publie l’année suivante, sous le titre de Cinq conférences sur la psychanalyse, le texte des leçons américaines. Les dissensions (Adler, Bleuler, Rank) s’accentuent. Freud tient ses troupes, et tolère les incursions dans la mythologie, le surnaturel et la transmission de pensées de ses deux principaux disciples, Jung et Ferenczi, veillant à ce qu’aucun des deux ne se détache de la « question sexuelle ». Surtout, le deuxième congrès international de psychanalyse tenu à Nuremberg fin mars sanctionne la création de l’Association Psychanalytique Internationale, structure souhaitée par Ferenczi et dont Jung prend la présidence. Les deux disciples bienaimés sont ainsi réunis – en dépit de leurs rivalités – au cœur du dispositif institutionnel, qu’il faut maintenant protéger d’éventuelles dérives.
C’est justement à la question du recrutement, de l’autorité et de la gouvernance au sein de l’Association Psychanalytique Internationale que fait référence le début de la lettre.
Jung vient de proposer à Freud de réserver l’admission à l’Association aux titulaires de diplômes universitaires, règle en vigueur à Zurich : « Nous avons par ailleurs à Zurich la règle que seuls sont admis les membres ayant un grade académique. Les étudiants sont admis tout au plus comme hôtes, ou temporairement. Je dis cela parce que je crains que Ferenczi ne se mette à fonder avec le régisseur du théâtre » (S. Freud & C.G. Jung, Correspondance, II, 104, lettre du 29 octobre 1910). La réponse de Freud, dont Jung se fait l’écho dans notre lettre, est catégorique : Jung peut faire ce qu’il veut à Zurich, mais pas ailleurs, et surtout pas au sein de l’Association. « À Vienne cela n’irait déjà pas pour la raison qu’il nous faudrait exclure celui qui est depuis des longues années notre secrétaire (Rank). Ce serait également dommage pour plusieurs nouveaux étudiants pleins de promesses. Enfin, le sens de cette mesure « régressive » ne doit pas être tellement approuvé à l’époque de la University extension… Nous n’avons à Vienne que la condition tacite de ne pas admettre les patients « actifs ». La limitation que vous projetez ne pourrait jamais se réaliser à Vienne et elle m’est personnellement tout à fait antipathique » (op. cit., lettre du 31 octobre 1910).
On remarquera que Jung évite de confier à Ferenczi, son principal rival dans l’affection de Freud, qu’il s’est fait sèchement recadrer à propos du recrutement des universitaires, et qu’il reprend sans s’attarder le verdict freudien en son nom propre : « Je me rends compte que c’est impossible ».
La psychanalyse n’était d’ailleurs pas bien accueillie dans les milieux académiques – c’est le moins qu’on puisse dire –, et c’est aux attaques des universitaires que Jung fait allusion dans les phrases qui suivent. Si les esprits s’échauffent et on le traite de fou, s’il a du mal à assurer ses cours, c’est, dit-il, à la suite d’une conférence d’un psychiatre allemand violemment hostile à Freud, Alfred Hoche (1865-1943), pour qui la psychanalyse est une « secte » dangereuse formée de praticiens délirants (tristement célèbre, Hoche se distinguera par ses théories favorables à l’euthanasie des enfants handicapés et à la suppression des « vies qui ne valent pas la peine d’être vécues »).
Document bien conservé.
Références : S. Freud & C.G. Jung, Correspondance, Paris, Gallimard, II, 1975. – M. Schneider, Lacan, les années fauve, Paris, P.U.F., 2015. – Pour l’année 1910 : L. Joseph & C. Masson, Résumé des œuvres complètes de Freud, II, Paris, Hermann, 2007, pp. 133-186.