LA LIBRAIRIE LECOINTRE-DROUET & LA LIBRAIRIE MÉTAMORPHOSES PRÉSENTENT
JEAN-PAUL JUNGMANN
Né en 1935, cofondateurs des groupes « Aérolande » et « Utopie » au milieu des années 60, l’un des organisateurs de l’exposition « Structures gonflables » au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 1968, Jean Paul Jungmann est également l’éditeur de la Revue L’Ivre de pierres dans laquelle fut présenté ce projet.
LA GARE VERS L’EST
L’un des projets les plus fascinants de Jean-Paul Jungmann est « La Gare vers l’Est » – conçu en 1978-1980 et présenté dans le numéro 3 de L’Ivre de Pierres –, dont cette exposition propose les dessins originaux. Une « gare-monde » utopique et poétique fourmillant d’allusions historiques, iconographiques, philosophiques ; un univers à part entière caractéristique d’une œuvre – précise, onirique, hallucinée – où parcourir et cohabiter, voyager et imaginer, penser et rêver ne font qu’un, et dont on perçoit l’écho dans le travail d’importants architectes et graphistes contemporains.
CE QU’EN DIT L’AUTEUR …
un lointain exotique allemand, une géographie subjective, une esthétique du dépaysement et de l’hésitation, projection architectonique et théâtre du rituel de l’arrivée et du départ, architecture littéraire qui parle et donne à voir, images de la distance, un décor urbain à la modénature figurative et merveilleuse pour une gare, ses quais, ses toitures, ses sous-sols, les rues avoisinantes et les constructions qui y mènent, la gare vers l’est, un voyage immobile, une flânerie minutieuse et parisienne dans le 10e arrondissement ou plus précisément dans quatre quartiers : le 37e quartier, celui de Saint-Vincent-de-Paul, quartier des deux gares, celle de l’Est et aussi celle du Nord, le 38e quartier, celui de la porte Saint-Denis et de l’hôpital Saint-Lazare, maison, couvent, léproserie, renfermerie, prison et maison de correction pour femmes, femmes prévenues, prostituées ou condamnées, haut lieu du vénérien, le 39e quartier, celui de la porte Saint-Martin et le 40e quartier, celui de l’hôpital Saint-Louis et plus près de la gare, l’hôpital militaire, toujours la guerre vers l’est, l’hôpital Villemin, hospice des incurables, mais pour hommes uniquement, asile du désespoir et de tous les poilus et merdeux de la guerre…
[…]
carrefour d’inquiétudes, démarches, regards, attentes, lourdes malles des voyageurs sérieux, porteurs chargés, chariots sonores, espace de solitude, d’ennui, visages entrevus, promenoir du non-voyageur, de ceux un peu maussades qui ne partent jamais mais gardent leurs valises prêtes, de ceux qui ne partiront plus, de ceux pour qui le voyage n’a jamais eu aucun sens si ce n’est l’évasion inaccessible ou l’expatriation angoissante et douloureuse, salle des buffets pour gens debout, rendez-vous de ceux qui partent en groupe, qui vont à la même fête, à la foire à date fixe, au rassemblement sportif, qui se séparent en larmes, qui se retrouvent radieux…
[…]
péniches pour conteurs les soirs d’hiver… feux autour d’une voix, discussions interminables, paraboles aussi inutiles que passionnées, chroniques et compilations géographiques, descriptions de nouveaux itinéraires, récits d’aventures, nouvelles d’amis au loin depuis trop longtemps, fables de tout temps, chroniques d’expériences intransmissibles, fiction, légendes, rencontres avec des villes qui disent ce qui n’était pas audible ici, conversations ininterrompues, histoires vraies, histoires affabulées… histoires de gare… et pourquoi pas l’histoire… l’histoire d’une gare ?
Extraits de la présentation du projet par Jean-Paul Jungmann (L’Ivre de Pierres, n°3, 1980).
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