Livres, manuscrits, collages, dessins, près de 200 œuvres réalisées par le poète, plasticien et performeur d’origine roumaine Ghérasim Luca (1913-1994), que Gilles Deleuze tenait pour l’un des poètes majeurs du XXe siècle, seront présentées à la Librairie Métamorphose.

L’ambition de cette exposition est de proposer pour la première fois une vision panoramique du travail de Ghérasim Luca incluant les ouvrages (livres, affiches, tracts, albums) réalisées avec ses amis peintres, sculpteurs et photographes (parmi lesquels Jacques Hérold, Victor Brauner, Wifredo Lam, Gilles Ehrmann, Piotr Kowalski, Pol Bury, Micheline Catti et, en remontant dans le temps, les camarades de l’avant-garde surréaliste de Bucarest) ; les collages originaux, parmi lesquels les étonnantes, oniriques, fascinantes  « cubomanies » réalisées en découpant des reproductions de tableaux de grands maîtres ; les dessins, dont un choix important incluant les œuvres réalisées dans les années 40 est présenté ici pour la première fois de façon rigoureuse ; sans oublier les performances scéniques et sonores, dont des enregistrements seront proposés aux visiteurs (projection et lectures de poèmes avec casques audio).

Déférés devant un tribunal d’exception. 1968. Lithographie de Jacques Hérold.

On pourra ainsi appréhender les différents modes de la poétique de Ghérasim Luca – écriture vocale et partitions graphiques, décompositions sémantiques et recompositions iconologiques, mots incarnés et formes aléatoires, défi au sens et refus de l’absurde – et saisir en un seul lieu cette œuvre qui forme un bloc contre la rhétorique de la poésie officielle, la sclérose de la langue littéraire et la banalisation de l’image à l’ère de la « reproductivité technique » effrénée de l’œuvre d’art. Un corpus habité par un balbutiement souverainet une très haute tension amoureuse, une langue à la fois concise, drôle, légère, précise, sertie de silence : la langue d’un « grand poète parmi les plus grands ».

Chez Ghérasim Luca, la main parle, la parole façonne, le geste poétise. Sa poésie est une aventure qui, entre jouissance et révolte, humour et désespoir, engage le devenir du monde, car « une lettre, c’est l’être lui-même ». À l’écart de tout mouvement ou école, contre les langages et les corps instrumentalisés, elle apparaît comme une tentative « théâtrale » de forger un langage inconnu – qu’évoquent les titres du Chant de la carpe ou du Théâtre de bouche), l’invention d’une langue, d’un vivre et, conjointement, la réinvention de l’amour et du monde – car « tout doit être réinventé ». L’influence de Ghérasim Luca, toujours présente, ne cesse de grandir, comme en témoignent les récentes adaptations de son œuvre au théâtre et les nombreux essais qui lui sont consacrés. En 2012, le chanteur Arthur H a mis en musique le poème Prendre corps, et Christophe Chassol un extrait du poème Passionnément.

Neuf dessins « tourbillons ». 1946.

Les livres de Ghérasim Luca sont publiés aux Éditions José Corti et trois recueils ont été rassemblés dans un volume édité par Gallimard.

Tourbillon d’être, un important catalogue conçu par Serge Martin et Michel Scognamillo, sera publié à l’occasion de cette exposition.