DESNOS,

Robert


MASSON,

André


C’EST LES BOTTES DE 7 LIEUES CETTE PHRASE “JE ME VOIS”

Paris,

Éditions de la Galerie Simon,

[25 mai 1926].

Grand in-4 (330 x 247 mm) de [32] pp. ; broché, couverture de papier crème imprimée, non rogné ; sous chemise-étui avec dos de box cerise.

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Description

Édition originale.

Illustré de 4 eaux-fortes d’André Masson à pleine page, dont une en frontispice.

Tirage limité à 112 exemplaires, celui-ci un des 90 exemplaires sur vergé d’Arches (n° 78), signé par l’auteur et l’artiste au colophon.

Pour accompagner les douze très beaux poèmes « lyrico-automatiques » de Robert Desnos composés entre 1923 et 1925 – dix d’entre eux sont dédiés à des amis proches (Georges Malkine, Antonin Artaud, Théodore Fraenkel, Albert Decaris, Jacques Baron, Charles Duhamel et André de la Rivière) ou à des femmes désignées par leurs seuls prénoms –, Daniel-Henry Kahnweiler fit appel à André Masson, qui avait déjà illustré deux ouvrages pour les Éditions de la Galerie Simon : Soleils bas de Georges Limbour (1924) et Simulacre de Michel Leiris (1925). André Masson, dont Robert Desnos avait repris l’atelier situé au 45 de la rue Blomet, réalisa des eaux-fortes plus grandes que les précédentes, et Kahnweiler accepta d’adapter le format du livre au travail du peintre.

Comme il l’avait fait pour les textes de Limbour et de Leiris, Masson emploie ici une forme d’automatisme graphique contrôlé, très personnel, composant une sorte de « poème parallèle » en images qui, loin des rigueurs cubistes, s’efforce de « capter l’essence tragique de la vie dans les mailles d’un dessin » violent, onirique, venteux, d’un érotisme diffus et sui generis. Pour François Chapon, cette démarche relève de « la solidarité entre les poètes, responsables de cette prise de conscience, et les peintres qui la ressentent dans le champ de leur propre expérience ». Sa façon, poursuit-il, « de toujours ramener les prospections de sa culture littéraire et sa fraternité spirituelle avec les poètes, à l’aire précise où l’œil transmet ses ordres à la main en fonction de cet espace et de ses lois, nous montre dans quelle indépendance de transcription et dans quelle communion de pensée Masson a illustré Limbour, Leiris ou Desnos » (cf. F. Chapon, op. cit., p. 115).

Un exceptionnel poème-envoi autographe signé de Robert Desnos, à l’encre noire, couvre entièrement le recto du premier feuillet blanc :

a mon cher Evan Shipman,

Plus loin que les cieux d’ici
plus loin que le cœur et ses tourments
plus loin que le ciel que le ciel
plus loin que le sanglot plus loin que le feu
je connais une femme
mourir pour cette femme
crier pour cette femme
chanter pour cette femme
pleurer pour cette femme
mourir bientot [sic] j’ai crié j’ai chanté j’ai pleuré
pour cette femme
quelque jour je dirai ce que les jours ont de faux ont de stupides [sic] et de bas
je suis l’éternel ciel et l’éternel cœur
et aussi l’éternel tourment
l’éternel ciel et ciel
j’aime j’aime j’aime j’aime
j’aime j’aime j’aime j’aime
la femme pour laquelle je pleure
je crie je chante et bientot [sic] je mourrai
 
Robert Desnos
15/12/26

Bien que la protagoniste de ce déchirant poème-confession demeuré inédit ne soit pas nommée, il s’agit de toute évidence de la chanteuse d’origine belge Yvonne George, née Deknop (1895-1930), la célèbre « Muse de Montparnasse » qui fut le premier grand amour de Robert Desnos : un impossible amour-passion jamais partagé (d’après le témoignage de Théodore Fraenkel), noyé dans la débauche, l’alcool, les drogues, et que le poète transposa dans son grand roman méconnu publié en 1943, Le Vin est tiré. Les excès en tout genre, ainsi que la tuberculose, abrégèrent la vie de cette pionnière de la chanson théâtrale et réaliste française, et Yvonne George s’éteignit à Gênes le 22 avril 1930, à l’âge de 35 ans. Desnos, qui lui consacra quelques-uns de ses plus beaux poèmes d’amour, qui bouleversèrent Antonin Artaud – dont le célèbre « À la mystérieuse » repris dans Corps et biens(1930) –, a pu écrire d’elle : « Plainte des amoureuses, poésie éternelle de la passion, de la révolte et de l’aventure, Yvonne George les exprime par tous ses gestes, son attitude, son existence même. Ce n’est pas une femme, c’est une flamme, elle est mieux qu’intelligente : sensible, plus que belle : émouvante. La femme moderne, si longtemps calomniée par les sots, trouve en elle sa plus haute expression. » (Robert Desnos, in : Nouvelles Hébrides et autres textes 1922-1930, Paris, 1978).

Montparnasse, USA : un témoignage sur le Paris 1920, cosmopolite, surréaliste et bohème.

Le destinataire de cet exemplaire, le poète et journaliste américain Evan Biddle Shipman (1904-1957), était un proche d’Ernest Hemingway, qu’il avait rencontré à Paris en 1924. Ce ne fut pas une simple camaraderie littéraire : les deux hommes partageaient aussi, outre la vache enragée, le goût des courses de chevaux et de la pêche à la truite. Hemingway introduisit Shipman dans le cercle de Gertrude Stein, qui à son tour le présenta à André Masson : le trio devint vite inséparable, le peintre ayant aussi contracté la fièvre des hippodromes. Evan Shipman fréquenta ainsi le Tout-Paris littéraire et artistique, la bohème de Montparnasse, les cabarets, les ateliers de peintres, et surtout celui de Masson : il y croisa Joan Miró, Théodore Fraenkel, Roland Tual, André de la Rivière, Georges Limbour, Jacques Viot, Michel Leiris, Armand Salacrou – et bien sûr Robert Desnos. De retour aux États-Unis, il continua à publier des poèmes, des articles, des reportages, demeurant actif dans son domaine de prédilection, les compétitions hippiques. En 1937, il regagna l’Europe et s’engagea dans les Brigades internationales qui se battaient en Espagne auprès des Républicains. Son comportement héroïque lui valut l’admiration et les éloges de son ami Hemingway, mais aussi de Desnos qui, en 1937, le mentionne dans son poème « Feu » parmi les amis des États-Unis « tous cœur à cœur avec l’Espagne […] Hemingway, Dos Passos et toi Shipman plus ardent que nul autre ». Après avoir servi dans l’armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale, Shipman rentra définitivement aux États-Unis, où il s’occupa principalement de ses bien-aimés chevaux. Il fut l’un des rares américains expatriés en France qu’Ernest Hemingway ménagea dans A Moveable Feast, son livre célèbre consacré au Paris cosmopolite des années 1920.

Bel exemplaire broché ; témoins très légèrement brunis.

Provenance : Evan Biddle Shipman (1904-1957).

Références : Jean Hugues, 50 ans d’éditions de D.-H. Kahnweiler, 1959, n° 22. – François Chapon, Le Peintre et le livre, 1987, pp. 113-115. – Saphire & Cramer, André Masson. Catalogue raisonné des livres illustrés, 1994, n° 3. – Yves Peyré, Peinture et poésie : le dialogue par le livre 1874-2000, 2001, n° 27. – Marie-Claire Dumas, notices, in : Robert Desnos, Œuvres, Paris, 1999 (rééd. 2011), pp. 279-311.

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