MOREAU,

Pierre


DEVOTES PRIERES ESCRITES ET BURINÉES APRES LE NATUREL DE LA PLUME par P. Moreau M. escrivain juré a Paris. Avec privilège du roy.

À Paris, Chez Jean Henault, ruë S. Iacques, à l’jmage de S. Raphael, ,

[1649].

Petit in-32 (85 x 55 mm) de 88 feuillets, soit 2 ff.n.ch. et 166 pages numérotées en chiffres romains ; veau cerise, filet doré et roulette torsadée à froid encadrant les plats, dos lisse orné de frises et fleurons dorés, doublure et gardes de papier marbré, roulette intérieure dorée, tranches dorées (reliure de la première moitié du XIXe siècle).

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Description

Seconde édition de ce livre d’heures de très petit format, entièrement gravé sur cuivre (texte, bordures et images), initialement paru à Paris, à l’adresse de l’auteur, en 1634.

Due à l’imprimeur-libraire et fondeur de caractères Jean Hénault (16 ?-1673), et publiée un an après la mort de Pierre Moreau, cette édition est en grande partie identique à la première.

Les deux éditions sont dédiées au roi. L’une et l’autre sont rares : on n’a pu en recenser que 11 exemplaires complets, dont 5 de l’édition de 1634 et 6 de l’édition Hénault.

Dans le catalogue de sa bibliothèque, le duc d’Aumale, qui fut l’un des très rares bibliophiles à avoir possédé un exemplaire de ce petit livre, écrit : « C’est certainement le plus joli, et, je crois, le plus rare des livres de Moreau. » Quant à Isabelle de Conihout, elle affirme dans son étude que ce second livre de prières, entièrement gravé, est « beaucoup plus rare que les Saintes prières » publiées par Moreau en 1631 et dédiées à la reine Anne d’Autriche.

L’un des tout premiers ouvrages de Pierre Moreau, l’un des rares, sinon le seul maître écrivain du xviie siècle à avoir reçu le titre d’imprimeur du roi.

Maître écrivain, graveur et sculpteur en lettres, fondeur, imprimeur et libraire, Pierre Moreau (c. 1599-1648) est issu d’une famille relativement aisée appartenant au milieu de la finance et de l’office. Reçu maître écrivain juré en 1628, il appartient à l’âge d’or des maîtres écrivains ; le plus célèbre d’entre eux, Nicolas Jarry (1615-1666), était son cadet de quelques années. Michel de Marolles cite leurs deux noms, aux côtés de quelques autres, sous le titre des écrivains (i.e. maîtres écrivains), dans son Livre des peintres et graveurs, précieux répertoire du monde artistique du Grand Siècle.

En 1626-1627, Moreau publie d’abord deux manuels gravés d’écriture financière « selon le naturel de la plume » et « pour l’escrire proprement, coulamment et bien ». Selon le recensement actuel, un peu plus d’une trentaine d’ouvrages suivront, qui sont de deux types : les livres gravés et les impressions typographiques. Les livres gravés sont au nombre de sept, créés entre 1626 et 1640, et se partagent entre manuels d’écriture (4) et livres de prières (3). Tous attestent de l’intérêt de Moreau pour le renouvellement de la calligraphie à la française, au moment où « la création en matière d’écriture s’est réfugiée […] chez les maîtres écrivains, [qui] entreprennent d’adapter au goût français l’italienne bâtarde ». De fait, l’écriture de Moreau se dépouille des prouesses calligraphiques « entortillées » qui avaient cours jusque-là, ne réservant plus les entrelacs qu’à quelques lettrines et aux ornements.

Pour Roger Portalis, la principale originalité de Pierre Moreau est cependant d’avoir imaginé une nouvelle typographie, inspirée de la calligraphie manuelle (le seul précédent en France avait été le caractère de civilité inventé par Granjon au milieu du xviesiècle). De fait, sa typographie, souple et nerveuse, s’inspire avec bonheur du mouvement « naturel » de la plume et découle naturellement de la lettre de ses productions gravées. Ainsi, dès 1640, il sculpte et fond lui-même plusieurs jeux de poinçons avec lesquels, en vertu du titre d’imprimeur ordinaire du roi qu’il reçoit en 1643, il composera et imprimera plusieurs ouvrages dont il assurera également la diffusion. L’obtention de ce titre envié témoigne de la reconnaissance de son travail par le pouvoir. Cependant, il lui confère aussi un statut tout à fait singulier qui lui vaudra de vigoureuses attaques de la part de la communauté des libraires et imprimeurs parisiens, ceux-ci ne voyant pas d’un bon œil que soient accordées à un maître écrivain, c’est-à-dire une personnalité extérieure à leurs corporations, les permissions cumulées de l’écriture, de la gravure, de la fonte et de l’édition, au service d’innovations typographiques susceptibles de leur faire de l’ombre.

L’illustration de ce petit livre est particulièrement remarquable.

Le programme décoratif et iconographique, d’une grande richesse d’invention et très soigné, se compose d’un titre frontispice, d’un portrait de Louis XIV enfant, de 15 figures hors texte attribués à Abraham Bosse par Georges Duplessis et de nombreux ornements dont plusieurs à pleine page.

Moreau sertit de bordures les pages de son livre de prières (à l’exception de la dédicace), l’inscrivant de ce fait dans la longue tradition des livres d’heures. Privilégiant la symétrie, ses bordures font appel à un vocabulaire décoratif renouvelé de page en page : éléments d’architecture, rinceaux, cuirs, emblèmes, végétaux et fruits, animaux, insectes, figures et visages humains ou fantasmagoriques, termes, macarons et grotesques, scènes historiées, instruments de la Passion, voile de sainte Véronique, etc. Aucune n’est répétée. Dans la partie supérieure, le titre courant s’inscrit dans un cartouche.

La suite hors texte d’Abraham Bosse (1602 ?-1676), l’un des graveurs français les plus représentatifs de l’art baroque, consiste – outre le Christ, la Vierge, des saints et les armes royales – en une représentation des sept péchés capitaux, dont les incarnations sont, lorsqu’elles s’y prêtent, revêtues d’élégants atours de l’époque. En 1645, Bosse donnera une nouvelle suite des Péchés capitaux pour les Heures des princes, princesses… imprimées par Moreau au moyen de l’une de ses fontes typographiques.

L’auteur du titre-frontispice et du portrait de Louis XIV enfant n’est pas identifié (Moreau lui-même ?). Le portrait peut être rapproché de ceux du jeune roi peint par le Lorrain Jean Nocret (1615-1672), ou de ceux qui lui sont attribués.

Enfin, il est intéressant de souligner que Moreau est très soucieux d’affirmer ses droits et de les protéger : non seulement il annonce au titre que son ouvrage possède un privilège royal (ce n’était alors pas obligatoire pour les livres gravés), mais il prend grand soin de répéter onze fois sa signature ou son chiffre au fil des pages, principalement dans les bordures.

Plaisant exemplaire revêtu, dans les années 1830-1840, d’une élégante reliure romantique en veau cerise décoré.

Bien qu’aucune marque de provenance ne l’atteste, ce charmant petit volume est issu d’un ensemble de livres ayant appartenu à la bibliothèque du céramiste-verrier Géo Rouard (1874-1929), propriétaire de la galerie d’art décoratif « À la Paix », 34 avenue de l’Opéra à Paris. Dépositaire et promoteur en France et à l’étranger des créations des artistes majeurs et des principales manufactures de l’Art nouveau, il fonde en 1925, en collaboration avec le céramiste Auguste Delaherche, le groupe des Artisans français contemporains. La première exposition des AFC, qui se tient en mai de la même année, présente entre autres des œuvres de René Lalique, Jacques Lenoble et Jean Dunand. Elle sera renouvelée chaque année jusqu’en 1935. Parallèlement, Georges Rouard fut un collectionneur et un amateur d’art érudit.

Quelques taches anciennes atteignant plusieurs feuillets, principalement dans leur partie inférieure ; petites déchirures sans manque au feuillet de titre et au f. 292 (anciennement restaurées) ; lors de la reliure, les deux feuillets composant le cahier 32 ont été intervertis, et le f. 402 a été relié après le cahier 41 ; on trouve, à la fin du volume, un feuillet blanc additionnel sur lequel une main pieuse du xviie siècle a tracé à la plume une prière de contrition inachevée ; mors très légèrement reteintés.

Provenance : Georges Rouard, dit Géo Rouard (1874-1929).

Références : Non cité par Brunet (qui ne mentionne que Les Sainctes Prières parues initialement en 1631). – F. Pérennès, Dictionnaire de bibliogr. catholique…, II, Migne, 1839, 145 (édition Henault ; description erronée). – R. Portalis, « Nicolas Jarry et la calligraphie au xviie siècle », in : Bulletin du bibliophile, 1896 et 1897, passim. – Isabelle de Conihout, « Pierre Moreau maître écrivain et imprimeur (c. 1600-1648) », in : Poésie et calligraphie imprimée à Paris au XVIIe siècle…, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, pp. 59-123. – C. Paput, « Les Poinçons de Pierre Moreau à l’imprimerie nationale », ibid., pp. 123-128. – Michel de Marolles, Le Livre des peintres et graveurs. Nouvelle édition revue par Georges Duplessis, Pierre Jannet, 1855, p. 37. – G. Duplessis, Catalogue de l’œuvre de Abraham Bosse, Revue universelle des arts, 1859, 194-207. – V. Ayroles, « Un artiste-décorateur et sa galerie au xxe siècle : François Décorchemont et la maison Rouard », in : Revue de l’Art, 1997, n° 118, pp. 56-68.

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