Les juifs, l’église, le commerce et l’usure dans le nord de l’Italie au XVe siècle Une rare impression incunable vénitienne

PIAZZA,

Francesco


OPUS RESTITUTIONUM, USURARUM ET EXCOMUNICATIONUM

[Venise],

1472.

In-4 (230 x 163 mm) de 225 ff. non chiffrés (sur 226 : le premier f. blanc est absent), sans signatures ni réclames (collation : aa-cc10, a-g10, h12, i-t10, v4) ; f. aa recto : « Incipit tabula Restitutionum usura-/rum et excomunicationum… »,f. 225 recto : « M.CCCC.LXXII. Nicolao Truno Duce Ven/etiarum regnante impressum fuit ho-/c opus foeliciter. » (verso et dernier f. blancs) ; vélin rigide ivoire, dos orné de frises et fleurons dorés, pièces de titres de maroquin rouge et verte (reliure italienne de la fin du XVIIIe siècle).

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Description

Probablement la plus ancienne édition de ce fameux traité de morale économique : l’un des premiers textes imprimés dénonçant la pratique de l’usure.

Une édition sans lieu ni date ni nom d’imprimeur (Padoue ?) fut imprimée avant 1473 : il est encore aujourd’hui impossible de déterminer laquelle de ces deux éditions a paru la première.

Profondément influencé par les écrits de Duns Scot et surtout par le Tractatus de usuris d’Alexandre d’Alexandrie (XIVesiècle), l’ouvrage de Francesco Piazza – juriste et théologien franciscain originaire de Bologne, mort dans sa ville natale vers 1460 – aborde les prêts à intérêt sous tous leurs aspects (économiques, juridiques et moraux), condamnant ces derniers comme injustes et frauduleux au regard du droit et de la doctrine de l’église. Piazza décrit notamment l’illégalité des gains, les risques du débiteur, l’exclusion sociale et judiciaire de l’usurier, ainsi que sa déchéance des droits et privilèges qu’offre la communauté chrétienne à ses membres.

Piazza cite notamment la loi canonique Usurarum voraginem, promulguée en 1274 lors du deuxième Concile de Lyon, qui décrétait l’expulsion des usuriers étrangers et menaçait les autorités récalcitrantes d’interdiction et excommunication (Cf. infra, f. 133v).

L’impression de ce bel incunable vénitien fut financée par Nicolao Truno (Niccolò Tron), riche marchand, doge de Venise de 1471 à sa mort en juillet 1473 (sa réforme monétaire et ses lourds investissements militaires causèrent un accroissement spectaculaire de la dette de Venise). Le public visé était de toute évidence celui des innombrables marchands de Venise, la plus active et florissante des villes commerçantes du XVe siècle, dont les investissements reposaient en grande partie sur l’emprunt. Les autorités de Venise s’adaptèrent rapidement à cette interdiction et contournèrent la loi en ouvrant les portes de la ville aux Juifs, lesquels pouvaient y devenir banquiers à la condition qu’ils pratiquent le prêt à intérêts… Dès 1516, lorsque que fut créé le ghetto juif, quatre banques s’installent sur la place centrale, offrant leurs services aux marchands mais aussi aux aristocrates vénitiens et aux financiers des guerres du doge, pour lesquels les prêts sur gages des banquiers chrétiens ne pouvaient suffire.

L’un des trois premiers ouvrages sortis des presses de Bartolomeo da Cremona, éditeur, fondeur de caractères et excellent imprimeur éphémère, actif deux années seulement, de 1472 à 1474, dont on ne connaît que 8 impressions se distinguant par leurs élégantes lettres rondes et leur très belle exécution. « Fine specimen of a rare legal incunabulum. In all probability this is the first book from this press ; it is printed in a beautiful Roman type of unusual design » (Harper).

L’Opus restitutionum connut un très grand succès (au moins 8 éditions entre 1472 et 1490). Bien que présente dans plusieurs bibliothèques institutionnelles, cette impression de Bartolomeo da Cremona est rare sur le marché du livre ancien.

Bel exemplaire, grand de marges.

Quelques rousseurs éparses et peu prononcées, une mouillure.

Provenance : Monastère des franciscains de San Girolamo à Gubbio (Ombrie), avec cette mention manuscrite au verso du dernier feuillet blanc : « Iste liber restitutio sanctis Francisci deplatea Pertinet ad locum sancti Jeronimi prope Eugubinum ». Ce monastère est encore actif de nos jours. – Cachet à la cire aux initiales L.J. au premier contreplat (non identifié).

Références : Goff P752 – HC 13035 – CIBN P-429 – BMC V 208 – BSB-Ink P-550 – GW M00836 – ISTC ip00752000 – L.C. Harper, Catalogue of a selection of incunabula from over 150 presses, 1927-1930. – A.-M. Hamelin (éd.), Un traité de morale économique au XIVe siècle. Le Tractatus de usuris de maître Alexandre d’Alexandrie, Louvain, 1962, p. 46 passim. – R.W. Dorin, « Banishing Usury : The Expulsion of Foreign Moneylenders in Medieval Europe, 1200-1450 ». Doctoral dissertation, Harvard University, Graduate School of Arts & Sciences, 2005. – R.W. Dorin, « Canon law and the problem of expulsion : The origins and interpretation of Usurarum voraginem (VI 5.5.1) », in : Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Kanonistische Abteilung, 99 : pp. 129-161.

 

 

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