SADE,

Donatien Alphonse François marquis de


LA MARQUISE DE GANGE

Paris,

1813.

2 volumes in-12 (167 x 95 mm) de xii-258 pp. et [4]-298 pp. ; demi-basane havane avec petits coins de vélin, dos lisse orné de filets et rosettes dorés, tranches mouchetées rouges, tranchefiles blanc et rouge, marque-pages de soie grenat (reliure de l’époque).

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Description

Édition originale, rare, du dernier livre de Sade.

Cet ouvrage dépourvu de tortures et tableaux pornographiques, mais subtilement sulfureux, est bâti sur un thème constant dans l’œuvre de Sade, celui de l’innocence persécutée et de ses variations érotico-religieuses. C’est l’un des récits les plus parfaits sortis de la plume de l’auteur de Justine.

Sade s’attache ici à la destinée de Diane-Élisabeth de Rossan, marquise de Ganges (1635-1667), assassinée par ses beaux-frères avec la complicité de son mari. Une « histoire tragique » qui sera aussi traitée par Baculard d’Arnaud, Alexandre Dumas et Charles Hugo.

Mariée à treize ans au marquis de Castellane, Diane-Élisabeth « fut présentée à la cour, où on l’appelait ‘la belle Provençale’, et eut l’honneur de retenir l’attention du jeune Louis XIV. Veuve, elle se retira dans un couvent, puis accepta d’épouser le marquis de Ganges, ‘fier, fantasque, défiant et jaloux’, dont elle eut un fils et une fille. Au bout de quelques années, l’abbé et le chevalier de Ganges vinrent demeurer avec leur frère aîné. L’abbé, qui n’était pas encore dans les ordres, s’éprit de la marquise, mais elle repoussa ses avances et bientôt aussi celles du chevalier. Dans l’espoir de la faire céder en l’éloignant de son mari, l’abbé réveilla la jalousie du marquis, qui ‘maltraita sa femme’. Dès lors, la haine emporta les deux frères, qui tentèrent une première fois d’assassiner leur belle-sœur en lui servant une crème empoisonnée. À quelque temps de là, Mme de Ganges fit un important héritage et, méfiante, rédigea un testament qui faisait de sa mère son héritière. (…) Le marquis, séjournant à Avignon pour ses affaires, l’abbé et le chevalier extorquent à la marquise un nouveau testament. (…) Restait à se débarrasser d’elle. Le 17 mai 1667, ils tentent de l’empoisonner avec une médecine dont le goût lui paraît suspect et qu’elle refuse. Ils pénètrent alors dans sa chambre et lui donnent à choisir entre le poison, l’épée et le pistolet. » Terrifiée, la jeune femme fait mine d’avaler le poison, demande un confesseur – le vicaire Perrette, en réalité complice des deux frères –, profite d’un moment d’inattention pour sauter par la fenêtre, se fait vomir en enfonçant sa tresse de cheveux dans sa gorge et se réfugie dans une maison voisine. « Le chevalier l’y rejoint, la frappe de deux coups d’épée et, tandis qu’elle essaie de fuir, lui en porte encore cinq et l’épée se rompt dans l’épaule de la malheureuse. Comme on appelle un chirurgien, l’abbé, comprenant qu’elle n’est pas morte, entre à son tour, veut l’abattre d’un coup de pistolet. L’arme ne fonctionne pas et il tente alors de lui casser la tête avec la crosse, mais les femmes de la maison se jettent sur lui. L’affaire était manquée et les deux coquins prirent la fuite. Mme de Ganges mourut dix-neuf jours après les faits, non de ses blessures, mais des effets du poison. »

Une atteinte déguisée à l’ordre, à la famille et à la religion.

On voit le parti que Sade pouvait tirer de cette affaire qu’il avait dénichée dans les Causes célèbres et intéressantes de Gayot de Pitaval (1734-1743) et que, prétendant bénéficier de sources inédites, il enrichit à sa guise, employant « toutes les ressources du genre pour tenir son lecteur en haleine : drogues, soporifiques, enlèvements, séquestration dans l’inévitable château, lieu par excellence de la transgression et de l’exercice de la volonté de puissance, fuite échevelée à travers la forêt hostile au cœur d’un affreux orage. Les scènes à effet ne sont pas oubliées. Mme de Ganges médite devant le sarcophage de marbre noir qui doit un jour recueillir sa dépouille et celle de son mari, à l’ombre ‘des cyprès et des saules pleureurs’, et c’est devant ce mausolée que le marquis fou de jalousie tue le malheureux Villefranche… »

En apparence, l’auteur affiche sa confiance en l’ordre supérieur, condamne les athées et les libertins, célèbre une nature bienveillante – sans oublier d’exalter les vertus de la religion. Mais une lecture plus malicieuse révèle la structure cachée du récit, et on ne pourra s’empêcher de suivre Raymond Trousson lorsqu’il souligne, à l’inverse de Gilbert Lély, l’ironie sardonique et le constant persiflage des valeurs traditionnelles qui président à la version sadienne de l’histoire de Madame de Ganges.

Le final est certes censé être édifiant, mais « il est clair que l’écrivain s’attarde avec complaisance sur les machinations des criminels, à ses yeux les véritables héros de l’aventure. S’il n’y a ici ni sévices, ni tortures, ni viols, la souffrance morale est observée avec délectation par le criminel abbé. On retrouve du reste certaines scènes chères à Sade, en particulier celle où la victime dénudée, sans défense, implore le Ciel et ses implacables bourreaux. (…) Si Sade venge la vertu malheureuse, s’il fait appel à Dieu et à la sainte religion, il subvertit en réalité ces thèmes bien-pensants, non moins que dans Justine. Dans la chapelle du château, dominant l’effigie du Christ, se dresse une image de la Vierge qui a les traits de la marquise. La critique ne s’y est pas trompée, cette ressemblance est profanatrice, sacrilège : c’est en réalité sur la mère de Dieu que s’acharne Sade l’athée. »

Exemplaire très pur et grand de marges, finement relié à l’époque, de cet ouvrage remarquablemen écrit et relevant d’un singulier féminisme avant la lettre.

Petit accroc dans la marge supérieure des pp. 81-84 du tome II.

Provenance : extrait d’un catalogue de vente (1937), découpé et collé au début du tome I.

Références : R. Trousson, « Histoire d’un fait divers, du marquis de Sade à Charles Hugo » (Revue littéraire, en ligne, décembre 2003).

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