BATAILLE,

Georges


L’Orestie

Paris,

1945.

10 000

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Description

Édition originale.

L’achevé d’imprimer est du 15 décembre 1945 ; le copyright porte la date de 1946.

Tirage limité à 260 exemplaires sur papier nacré teinté, dont 175 mis dans le commerce, 25 hors commerce et 60 réservés aux souscripteurs : celui-ci, un des 175, porte le no 114.

On joint :

Fragment du manuscrit autographe. D’un format à peine inférieur à celui du livre, ces 9 feuillets in-8 contiennent autant de poèmes de L’Orestie, dont trois non retenus dans le recueil et un avec variantes ; encre noire ou bleue sur papier crème (6), ligné en rouge (2) ou ligné en gris (1).

La poésie au risque de la folie : le célèbre recueil « antipoétique » de Bataille.

Les textes qui le composent furent rédigés vers 1942. Quatre poèmes, regroupés sous le titre de «La discorde», furent publiés dans la revue Les Quatre vents, dirigée par Henri Parisot (achevé d’imprimer du 25 septembre 1945), soit moins de trois mois avant la publication de L’Orestie sous forme de livre. En 1947, l’ouvrage formera, avec les récits en prose Histoire de rats et Dianus, un triptyque publié par les Éditions de Minuit sous le titre La Haine de la poésie (la première section du volume porte d’ailleurs ce titre, deux autres sections étant intitulées, respectivement, «Être Oreste» et «Appendice. Poèmes disparates »). La Haine de la poésie sera réédité par les Éditions de Minuit en 1962 avec un nouveau titre, L’Impossible, et une préface spécialement composée par Georges Bataille pour cette édition définitive, ordonnée différemment.

Reprenant à son compte la figure tragique d’Oreste – un Oreste passé de la création poétique à la critique de la poésie, et un Oreste qui aurait perdu l’esprit –, Bataille en fait « le porte-parole (le prête-nom) pour une entreprise vraiment “post-hégélienne” où s’instaure, au-delà de la négation du “donné naturel” (opération hégélienne), la rupture qu’opère la “poésie” – comprenons : la littérature arrivée dans le domaine effroyable qui est le sien », celui de l’im-possible. À la première section, dans laquelle s’exprime «l’impossibilité où est l’écrivain d’accéder au cœur de la poésie et la nécessité qu’il sent de reformuler cette impossibilité », succède Être Oreste, au sujet duquel Gilles Ernst, que nous venons de citer, écrit : « Il faut pourtant vivre. Et assumer la folie puisqu’on ne revient pas intact de la première expérience de la poésie. Être Oreste où la “parole en vers” s’est définitivement tue, et qui est imprimé en italique pour signaler le passage au grand trouble, décrit cette seconde expérience, affreuse parce que absolument sans échappée possible. »

Exemplaire de Jacques Lacan, accompagné d’une partie du manuscrit : 9 feuillets autographes contenant des poèmes du « cycle » d’Oreste.

Écrits entre la fin de l’année 1942 et le début de 1943, ces poèmes manuscrits, destinés à L’Orestie de 1945, furent donc donnés par l’auteur à son ami Jacques Lacan. À cette époque, Lacan était proche de Georges Bataille, qui était toujours le mari de sa compagne Sylvia. (Georges et Sylvia Bataille, séparés depuis 1934, divorcèrent en 1946 et Sylvia n’épousa Lacan que sept ans plus tard.) Au début de l’année 1943, quand les rafles nazies s’intensifièrent, Bataille proposa même à Lacan et à Sylvia, d’origine juive, de les héberger à Vézelay, mais cette offre ne se concrétisa pas. Le cercle intellectuel de Georges Bataille, fréquenté entre autres par Jacques Lacan, Michel Leiris, Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir, a été longuement évoqué par Élisabeth Roudinesco, op. cit.

Dans la préface insérée en 1961 dans la réédition de L’Impossible, Bataille déclarait : « Je ne suis pas de ceux qui voient dans l’oubli des interdits sexuels une issue. Je pense même que la possibilité humaine dépend de ces interdits : cette possibilité, nous ne pouvons l’imaginer sans ces interdits. […] Je ne crois d’ailleurs pas que ce livre pourrait jouer dans le sens d’une liberté sexuelle invivable. Au contraire : ce que la folie sexuelle a d’irrespirable en ressort ». Propos que Michel Surya, le biographe de Bataille, commente ainsi: «Peut-on imaginer que sur ce point Georges Bataille et Jacques Lacan étaient profondément d’accord ? Il n’est pas invraisemblable que ç’ait été entre eux un sujet de conversation capital. Il ne faut pas oublier en effet qu’ils se voyaient régulièrement, entre autres à Guitrancourt, chez Jacques Lacan. »

Détail des pièces autographes :

Les quatre premiers feuillets contiennent les poèmes publiés le 25 septembre 1945 sous le titre de « La discorde » dans la revue Les Quatre Vents (no 2, pp. 25-26), puis dans L’Orestie (pp. 17-20).

a. Dix cent maisons tombent / cent puis mille morts / à la fenêtre de la nue.

b. Ventre ouvert / tête enlevée / reflet de longues nuées / image d’immense ciel.

c. Plus haut / que le haut sombre du ciel / plus haut / dans une folle ouverture / une trainée de lueur / est le hâlo [sic] de la mort.

d. J’ai faim de sang : faim de terre au sang / faim de poisson faim de rage / faim d’ordure faim de froid.

Suivent trois poèmes qui furent évincés de « La discorde » et dont on trouve le texte dans les Œuvres complètes publiées par Gallimard, 1971, tome III, p. 524 et tome IV, p. 21.

e. Je me consume d’amour / mille bougies dans ma bouche / mille étoiles dans ma tête // mes bras se perdent dans l’ombre / mon cœur tombe dans le fond / bouche à bouche de la mort

f. Un cœur de glace une soupe fumante / un pied sâle [sic] de sang / la moustache des larmes / Une crécelle de mourant

g. Flamme de nuit / Jambe sciée / cervelle nue et pied nu / le froid le pus la nuée / le cerveau mouchent du sang

Enfin, les deux derniers feuillets contiennent les deux premiers poèmes (sur cinq) de la section intitulée «Moi», placée à la suite de «La discorde» dans l’édition originale de L’Orestie (pp. 23-24).

h. Cœur avide de lueur / ventre avare de caresses // le soleil faux les yeux faux / mots pourvoyeurs de la peste // la terre aime les corps froids.

i. Larmes de gels / équivoque des cils / lêvres [sic] de morte / inexpiables dents // absence de vie // nudité de mort [et ces deux vers non retenus, rayés :] étoile de gel // justice sans cœur.

Les manuscrits connus de L’Orestie, partiels et fragmentaires, sont conservés à la Bibliothèque nationale de France (voir la notice de Gilles Ernst dans la Bibliothèque de la Pléiade, op. cit., p. 1212, note 3, ainsi que Œuvres complètes, III, p. 522-523) ; et au Harry Ransom Center de l’Université du Texas, à Austin.

Important ensemble témoignant de l’activité poétique de Georges Bataille, trop souvent négligée.

L’œuvre poétique de Bataille, écrit Bernard Noël, «est restée à l’écart, non parce qu’elle manquerait de qualité, mais plus certainement parce qu’elle représente un danger pour la poésie. Elle n’en conteste pas seulement les manières, elle les déchire, les salit ou bien les rend dérisoires. Ainsi la poésie est attaquée dans sa nature même et bientôt pervertie ou, plus exactement, souillée. On se protège de cette souillure mentale en l’attribuant aux sujets souvent obscènes ou scatologiques, alors qu’il s’agit d’une chose tout autre – qu’il s’agit d’un saccage interne faussant les articulations ordinaires du poème pour leur faire desservir leur propre élan. Il y a de la brutalité dans ce retournement : une façon de trousser le vers pour exhiber sa nudité sonore scandée à contresens de ce qu’il dit. »

Provenance : Jacques Lacan (1901-1981) et Sylvia Maklès (1908-1993), puis par descendance. – Sotheby’s, cat. Livres et manuscrits, 15 décembre 2020, lot 85.

Références : Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan, Paris, Fayard,1993, pp. 172-229, passim.– Michel Surya, Georges Bataille, la mort à l’œuvre, Paris, Gallimard, 1992 (rééd. 2012), p. 671, passim. – Georges Bataille, Romans et récits, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 2004, pp. 550-563, et notice de Gilles Ernst, pp. 1211-1232. – Georges Bataille, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1971, tomes III et IV. – Bernard Noël, préface à L’Archangélique, Paris, Gallimard, 2008, p. 7.

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