BENOÎT,

Jean


LE DÉSIR LIBERTAIRE, OU COMMENT ET PAR QUEL PROCESSUS MENTAL EN SUIS-JE ARRIVÉ À SODOMISER UNE DINDE – MANUSCRIT AUTOGRAPHE

Ménilles [Eure], chez l’auteur,

1981.

Manuscrit autographe signé, rédigé à la plume et à l’encre noire et bleue (214 lignes) sur un seul côté d’un très long rouleau de papier crème (202 x 21 cm) se déroulant verticalement ; souscription à l’encre bleue (12 lignes) datée du 28 août 1981 ; conservé dans un tube de carton portant l’adresse de « M. Abdul K. El Janaby, 83 rue Nollet, Paris 75017 », affranchi (oblitération : 17-9-81).

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Description

Superbe manuscrit-confession réalisé par le plasticien surréaliste Jean Benoît.

Il a été adressé par la poste à l’écrivain, poète, traducteur et activiste irakien d’expression française Abdul Kader El-Janabi, né à Bagdad en 1944, fondateur d’une revue anarchiste portant le même titre que celui qui figure en tête du manuscrit : Ar Raghba El-Ibâhiyya (Le Désir libertaire).

Ce récit-poème – autobiographique, surréaliste, intense, fiévreux, délirant – se présente comme une très longue lettre (plus de 2 mètres !) adressée à Abdul Kader El-Janabi, donc voici la souscription : « Ménilles, le 28 août, 1981. Mon cher Abdil (un cas) el Canabis, ce texte – tout bonnement un premier signe d’amitié. Crois-bien – après lecture – que je ne serais nullement offusqué si tu prenais la décision de ne pas en faire « usage ». Est-il nécessaire d’ajouter ou de préciser que je n’ai aucune ambition ou prétention littéraire. « A bon entendeur, salut ! » Jean. Dis à ta copine qu’elle a une charmante voix au téléphone. Je l’embrasse ! – et toi aussi ! Serai de retour vers le 15 Sept. »

Dès les premières lignes, Jean Benoît fait référence au Marquis de Sade, dont il avait « exécuté le testament » lors d’une fameuse performance chez Joyce Mansour en 1959, et auquel il emprunte ici la forme-rouleau adoptée par l’auteur de Justinepour le manuscrit des 120 journées de Sodome.

Nous donnons ci-dessous des extraits de ce texte difficilement résumable en quelques mots.

 

« Je pense donc je suis ». Celui qui n’a pas eu une juste idée de l’irritation de Donatien-Alphonse François – au niveau de la glande pinéale – devant pareille affirmation, ne pourra être en mesure de suivre ce qui va suivre.

La faillite de la pensée, le dérisoire d’une idée – aussi géniales soient-elles – du fait et dans la mesure où elles n’ont eu que si peu de prise sur la vie – (et encore moins sur celle des arts et des lettres. Quoi de neuf ? Le « Nouveau Roman » ? Le « Nouveau Réalisme » ? La marquise, devenue grabataire, continue néanmoins « à sortir à cinq heures ». Depuis quelques décennies, nous souffrons, tout au plus, d’un long rhume de cerveaux. Permettez-moi d’éternuer. Marcel Duchamp, si jeune dans les écrits d’André et si vieux à la Télé. Plus récemment encore à Beaubourg : une petite expo de manuscrits surréalistes sous vitrine. Tout est là pensais-je. Tout au moins ce qui en reste. Tout au plus : un droit de regard !)

Une vie. Toute une vie. À quel court instant de notre jeunesse avons-nous été motivés et à quel degré d’intensité ? Indubitablement, indiscutablement : Tout est là !

À mon sens, la pensée originale comme l’idée inédite, s’élabore ou se brasse, de bas en haut et non de haut en bas. C’est fondé – c’est fond-à-mental ! Donatien-Alphonse-François se sera évertué à nous l’enseigner d’une façon magistrale.

[…]

Enfant, je jouais avec les Indiens et non à tuer des Indiens. – N’allez surtout pas croire que j’étais précoce, j’habitais tout simplement près d’une de leurs réserves. – (Ah ! si l’homme blanc, si stupidement fier de sa progéniture, lui tenait ce modeste raisonnement, – à savoir qu’il est dorénavant inutile de jouer à tuer l’Indien puisque grand papa les a déjà tous massacrés.)

[…]

Je grandis et j’arrivai à Paris en Octobre 1948, gare St-Lazare. Jamais il ne m’avait été donné de voir un si bel étalage de locomotives à l’arrêt. Quel spectacle ! Je délirais d’enthousiasme. Par ordre d’alignement ou de grandeur, il y avait là, coude à coude, Jarry, Breton, Lautréamont-Rimbaud, Cravan-Rigaud, Vaché-Chirico, Roussel-Van Gogh, le F. Cheval-le D. Rousseau, en encore une fois, comme il va de soi : Donatien-Alphonse-François.

Parmi tous ces monstres couleur de suie que j’avais nommés et baptisés ainsi à haute voix, il y en avait une autre encore, de taille plus réduite, un peu à l’écart sur une voie de garage, mais qui, néanmoins, avait fière allure. M’adressant à ma tendre compagne de toujours, de tous les jours, je m’écriai : « Regarde bien celle-ci, Mimi, plus tard ce sera moi si je poursuis mon petit bonhomme de chemin avec une détermination de fer et de la concentration ! »

[…]

Voyez plutôt cette nouvelle Cour des Miracles ! Tous ces bossus de Notre Dame ! Le voyage déforme la jeunesse. Havresac au dos et en avant, avec cette sueur d’ennui qui les suit, désemparés, désœuvrés, désabusés, et noyés de surcroît dans la foule des plus vieux, les mieux nantis, l’appareil photo au niveau de l’organe génital. Passons. La vie passe. Une vie. Toute une vie.

[…]

[Après une longue et délirante description du dindon évoqué dans le titre :] Derrière ma table ronde, le mâle me communique par on ne sait quel truchement – (et pourtant !) cette intense fébrilité qui est la sienne. Je suis, pareillement, envahi par cette impénétrable impatience qui est celle de la femelle. Innervé, énervé, enfiévré, échauffé, agacé, égaré – drôles d’états, c’est le moins que l’on puisse dire, car, confusément, j’ai le sentiment que je devrais être le dindon de la farce… – aussi se sera-t-elle assez éternisée. Qu’en dites-vous ? Qu’en pensez-vous ?

(Assez, vous n’en saurez pas plus long sur la manière et par quel procédé je suis arrivé à sodomiser une dinde !)

Tu penses !? A-t-on idée !?

À bon entendeur, salut !

                               Jean Benoît

Une vie, toute une vie. La mienne n’aura été qu’une longue accumulation d’ex-voto. Mon ultime ambition aurait été celle de peindres [sic] – néanmoins en voici un que j’aurai tenté de vous dépeindre.

 

Inventif, provocateur, érotomane, Jean Benoît (1922 – 2010)  – qui formait avec sa compagne Mimi Parent, elle aussi native de Québec, un couple artistique incendiaire – avait été cité par André Breton, en 1965, parmi les dix créateurs les plus authentiques de l’après-guerre. Membre du dernier groupe surréaliste, il participa également à l’aventure du mouvement Panique fondé par Topor et Arrabal.

On joint : Appel en faveur d’Antoine Soriano. 1 feuillet dactylographié (verso blanc), signé à l’encre bleue par Jean Benoît. Il s’agit d’une pétition adressée à la garde des sceaux Élisabeth Guigou en faveur du libraire-éditeur libertaire Antoine Soriano y Mor (1913-2005), condamné en 1998 à la suite d’accusations d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans. Au deuxième paragraphe, à la phrase « les abus sexuels font partie des crimes les plus odieux qui puissent se commettre », Jean Benoît (on ne se refait pas) a biffé le mot « odieux » et l’a remplacé par « sympathiques ».

Bords du rouleau légèrement effrangés par endroits, réparation marginale dans la partie supérieure droite (sur 7,5 cm), quelques plis, une petite fente sans conséquence ; mis à part ces minimes défauts, le manuscrit est très bien conservé.

Références : Annie Le Brun, Jean Benoît, Paris, Galerie 1900-2000 & Filipacchi, 1996. – O. Borillo, « L’Exception Soriano », in : Mouvements 2002/4, n° 23.

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