Description
Belle lettre contemporaine de la publication de Mort à crédit.
Chère Karen
Je me demande ce que vous devenez,
où vous êtes ? Tout cela est si
loin, votre départ… Je voudrais
vous raconter des choses joyeuses
et riantes et peppys ! Mais
je n’en ai pas beaucoup. Je
vais un peu mieux physiquement
après cet atroce effort. Mais hélas
mon livre est sorti dans un
épouvantable moment ! Vous savez
ce qui se passe ! De plus j’ai eu
une série de critiques détestables.. On
veut me faire payer cher le succès
du « Voyage » et surtout mon indépendance.
Je vais être obligé de quitter Clichy –
ma présence au dispensaire devient
impossible. Je ne crois pas aller
en Amérique. Cela coûte trop cher.
Je n’ai pas gagné grand’chose avec
mon livre. J’irai en Irlande ou
en Bretagne, peut-être en Norvège et
tout seul. J’ai assez de voir les
gens. Plus je suis seul, plus je
deviens impossible. Je le sais Karen.
Je vous aime bien et je vous
embrasse.
Louis.
[et dans la marge de gauche, en exergue, cet ajout :]
J’ai rencontré sur le Boulevard
Muriel et [?]
going to
Argentina !
Tout Céline est résumé, concentré dans cette courte lettre : sa mélancolie, ses rapports difficiles avec la médecine et le littérature, son complexe de persécution, son désir de fuite, l’Amérique et… le goût pour les danseuses ! Lorsqu’Elizabeth Craig présenta Karen Marie Jensen à Céline, l’écrivain songera un moment à donner à cette jeune danseuse danoise un rôle dans L’Église (pièce qui ne fut pas représentée). Céline garda le contact avec Karen et, au moment où il désespère de reconquérir Elizabeth, la rejoignit à Chicago, où elle était en tournée. Ils se revirent à Copenhague en 1935 et à Paris, avec Lucette Almanzor, en 1937. Plus tard, en 1945, Karen hébergera Céline et Lucette à Copenhague lors de leur arrivée au Danemark. Les lettres de Céline à Karen, entre amitié amoureuse et véritable amour – l’écrivain a entretenu, au moins un temps, l’idée de partager sa vie avec la belle danseuse –, « laissent exprimer sa pensée et ses émotions d’une façon extrêmement directe, [révélant], avec une rare clarté, le fond de sa sensibilité » (Colin W. Nettelbeck).
Références : Céline, Lettres à des amies, publiées par Colin W. Nettelbeck, Paris, Gallimard, 1979.